les vins de Gaillac

Duras, Braucol, Ondenc, Prunelart, Loin de l’œil, Mauzac, ça vous cause ? Probablement pas ! Sauf à être fan de Gaillac, la plus belle bibliothèque ampélographique du vignoble français. Une appellation passionnante pour tout amoureux de la « dive bouteille », où l’originalité prévaut sur un modèle reconnaissable entre tous. 

Les vignobles du Sud-Ouest sont certainement les plus difficiles à appréhender de par leur étendue et leur diversité. Quand la France autorise plus de 200 cépages pour produire du vin, le Sud-Ouest à lui-seul en utilise 170. Et à l’heure où une poignée de cépages font 70% des vins, appauvrissant l’offre, l’appellation Gaillac avec sa bonne dizaine de cépages offre un visage multiple qui la rend passionnante.

Gaillac se situe à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Toulouse, dans le département du Tarn et s’achève à sa pointe Est, juste à proximité de sa préfecture, Albi.

L’appellation est large, 3850 hectares, un mastodonte à l’échelle française. Sur un tel cadastre, la diversité géologique est naturellement importante. On pourrait presque parler de trois vignobles, de trois bandes horizontales séparées une fois par la rivière Tarn et une fois par la Vère, un affluent de l’Aveyron.

Il en va de même pour le climat. Gaillac se trouve à la jonction de l’humidité océanique bordelaise et de la chaleur méditerranéenne.  Il faut compter aussi avec le vent d’Autan, vent chaud et asséchant, longtemps allié de la vigne car évitant les risques de parasites et de pourriture, mais qui dans certains millésimes solaires peut aussi s’avérer gênant.

L’appellation est à l’image des façades en brique de sa capitale, rouge à 60% avec une petite partie de primeurs. Et oui, on fait ici du Gaillac « nouveau » à base de Gamay comme dans le Beaujolais ! Surfant sur la vague porteuse à l’époque, le cépage grossit à la fin des années 70, principalement sur une zone de schistes acides favorable à l’élaboration de ce type de production, le Noyau de Cunac.

La rive gauche du Tarn est propice aux assemblages à base de Duras, un des cépages autochtones, très intéressant par son ampleur en bouche, son caractère fruité et sa fraîcheur finale. Alain Rotier me confia un jour qu’il avait abandonné le cépage Braucol au profit du Duras car sur ses vignes en terrasses, faites de graves ou boulbènes, le Duras « peinait » mais du même coup exprimait toute son élégance. Sa cuvée Renaissance rouge qui associe Duras, Cabernet-Sauvignon et Syrah fait toujours « mouche ». L’élevage sous-bois d’un an ne domine pas ce vin au caractère fruité et épicé (poivre) où les tanins s’expriment en finesse. 

La rive droite du Tarn offre aux visiteurs un paysage de vallons avec de légers coteaux argilo-calcaires. Cette fois-ci c’est le Braucol, un autre cépage typiquement gaillacois qui s’exprime au mieux. Connu aussi sous le nom de Fer Servadou, à Marcillac non loin de Rodez, les arômes de ce cépage sont originaux, marqués par le cassis et la framboise avec une pointe de menthol. Parfois qualifié de rustique, il faut découvrir la cuvée Hyperbole du domaine René Rieux pour oublier ce préconçu. Cette cuvée ambitieuse, longuement élevée en barriques, est une ode au cépage. Je l’avais découverte du temps où Robert Papaix, à l’accent chantant du sud-ouest et aux belles bacchantes, faisait des merveilles au domaine avec son équipe Adapei. 

Le cépage Prunelart est le dernier cépage rouge autochtone. Déclaré comme perdu après la crise phylloxérique, il a été récemment remis sur le devant de la scène et réintégré dans la liste des cépages au cahier des charges de l’appellation. Il ne pèse qu’à peine 2% de l’encépagement rouge de l’appellation mais il progresse rapidement. La dégustation du pur Prunelart de la collection « Conservatoire » en provenance du négociant Lionel Osmin fait honneur au cépage. La bouteille laisse le sentiment d’un superbe fruité, tout en finesse et profondeur avec néanmoins une structure bien présente. 

Cette collection « Conservatoire » qui se propose de remettre au gout du jour des cépages oubliés, illustre particulièrement à Gaillac, la reconquête des cépages endémiques. Avant cette collection, le vigneron-ampélographe Robert Plageoles avait fait beaucoup pour faire renaitre et reconnaitre certaines variétés de Mauzac, Ondenc et Verdanel.

C’est à partir de cette reconquête de l’identité ampélographique gaillacoise, et aussi grâce au talent des vignerons qui se sont succédés au domaine Plageoles, que les amateurs du monde entier ont découvert Gaillac. Leur « Vin d’Autan » issu du Mauzac, est une merveille oxydative, où se mêlent rondeur en cœur de bouche et longueur incroyable célébrant les épices douces et la noix. 

Si Gaillac a pour originalité de délivrer, comme dans le Jura, de grands vins de type oxydatif, l’appellation se révèle aussi par sa production de superbes vins liquoreux. Le Gaillac doux « Renaissance » du domaine Rotier est à mon sens l’un des plus grands liquoreux français, à l’aromatique classique d’abricot, de coing et de miel d’acacia, mais offrant une fraîcheur insolente et bienvenue pour équilibrer le sucre. Il est issu à 100% du cépage encore une fois « autochtone », le Loin de l’œil. Son nom originel lui vient du fait que la grappe, munie d’un long pédoncule, est éloignée du bourgeon (œil) qui lui a donné naissance.

Je ne peux pas évoquer Gaillac sans vous parler du vin effervescent en méthode ancestrale et demi-sec du château de L’Enclos des Roses, pour souligner une énième originalité de l’appellation. 

Aurélie Balaran, dont le père officie toujours au sein d’un autre domaine intéressant de l’appellation, « Escausses », élabore sur le plateau cordais (la troisième bande la plus au nord) ce pétillant séducteur, léger en alcool, à la bulle fine et évanescente. Il « fleure » bon la pomme et la poire. Gouté sur une tartine avec une tranche de brie et un chutney de pommes, passée sous le grill du four, l’accord fut merveilleux. 

Cet autre cépage blanc indigène, le Mauzac, offre une délicatesse aromatique et une fraîcheur naturelle qui lui permet d’élaborer des vins effervescents comme des secs et des liquoreux. C’est vraiment un cépage merveilleux qui se dévoile avec le temps, à l’image du Chenin dans la Loire. 

Il vous sera aisé de comprendre que j’affectionne particulièrement cette appellation. Il me semble que face à une certaine standardisation, les vignerons de l’appellation ont une « sacrée carte à jouer ». Que la diversité des vins est une chance pour tout amateur de vins, plutôt que la typicité. 

Si vous ne connaissez pas encore les vins de Gaillac, partez donc en balade. Et si l’excuse du vin n’est pas suffisante, alors ce sera pour visiter ce magnifique village qu’est Cordes sur Ciel.