
S’il est bien une région viticole, à tous points de vue, agréable à visiter, c’est l’Alsace. L’Alsace est d’ailleurs la région française où les ventes au caveau sont les plus importantes. L’Alsace possède aussi de magnifiques terroirs en coteaux, où les différents cépages s’expriment à travers une multitude de nature de sols, probablement sans équivalent au monde. De cette richesse nait de grands vins trop souvent mis à l’écart, qui donnent envie de vous les narrer.
Si vous prévoyez un jour une tournée de vignobles en Alsace, modérer votre ambition. Deux visites de domaines par jour auront vite fait de vous « achever ». Là, où dans d’autres régions, on vous ferait déguster une petite dizaine de cuvées, l’Alsacien est prolixe. La dégustation démarre souvent par les Crémants, puis suivent les Sylvaners, les Pinots Blancs, les Pinots Auxerrois, les Riesling, les Pinots Gris, les Muscats, les Gewurztraminers avant de passer aux rosés et rouges issus du Pinot Noir. Entre les vins secs, les vendanges tardives, les sélections de grains nobles, les cuvées génériques, celles de lieux-dits et les grands crus, on dépasse régulièrement une trentaine de cuvées par domaine.
Et si vous tenez encore debout, les alsaciens auront à cœur de vous faire découvrir quelques eaux-de-vie de fruits « de derrière les fagots ». Autant dire qu’un « Sam », ou un camping-car pour s’allonger dès la sortie du domaine, deviennent vite des prérequis.
Assez bizarrement les Français ne valorisent pas assez le cépage-phare alsacien, le Riesling. Ce n’est pas le cas à l’étranger où il est plébiscité et se place au troisième rang blanc mondial, après le Chardonnay et le Sauvignon.
Le Riesling, tout comme le Chenin ligérien est une véritable « éponge à terroir ». Le descriptif organoleptique de dix Riesling, originaires d’une dizaine de nature de sols différents, délivrerait des commentaires singulièrement distincts. Cette variété d’expressions est à la fois troublante et magique.
Prenons l’exemple du Riesling Grand Cru Schlossberg 2018 du domaine Trimbach. Né sur cette terre à dominante granitique, de grande richesse minérale (potassium, magnésium, fluor, …) le vin offre, dans un style propre à la maison Trimbach, un vin parfaitement sec, évoquant la peau d’agrumes et la citronnelle. Le cœur de bouche est arrondi par une petite pointe d’acacia mais la finale est clairement tranchante et minérale.
Tout autre son de cloche, avec le Grand Cru Altenberg de Bergheim 2012 du domaine Deiss. Ce rare vin d’assemblage, dans une région qui met d’abord en avant un nom de cépage avant un nom de terroir, exprime largement l’origine marno-calcaire de son sol. Le vin est d’une richesse intense, évoquant des notes confites de citron, de pêche et mandarine. C’est aussi une farandole d’épices douces et de chocolat blanc. Le sucre commence par enrober votre palais mais cette « luxure » aromatique est diablement contrebalancée par une énergie minérale et acide en finale.
On retourne sur le granit avec le Grand Cru Brand, terroir offrant des vins aux profils souvent très droits. Le Pinot Gris 2017 du domaine Josmeyer, en dépit de ses quelques grammes de sucres résiduels, offre une sensation salivante en bouche. J’aime particulièrement ces grands vins blancs délivrant des sensations de vins secs tout en offrant une aromatique de vin liquoreux. Le granit offre cette tension, cette structure acide au vin, comme nul autre. Le nez évoque la noisette et d’autres arômes gourmands qui affronteraient volontiers un risotto aux morilles ou des pâtes à la sauce soja. Mais son acidité fine, qui prolonge la bouche, équilibrerait aussi la douceur de ces mets.
Nous montons encore d’un cran dans la largeur de la palette aromatique avec le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 2017 du domaine Weinbach, né sur les sols marno-gréseux du Grand Cru Furstenturm. Voici un terroir qui convient particulièrement à ce cépage. La marne apporte puissance et charpente quand le grès confère élégance, nervosité et complexité. Passée la sensation sucrante en première bouche, c’est un véritable festival en cœur de bouche. Le fruit, les épices, l’empyreumatique, le floral, tout s’entremêle sans excès. Les notes d’acidité et le fort niveau d’extraits secs équilibrent le sucre en fin de bouche.
Je rappelle ici que la qualité des vins liquoreux se distingue avant tout sur leur acidité équilibrante en finale. Si l’on ne jugeait que les vins liquoreux sur leur perception sucrante en attaque de bouche, les « petits » liquoreux issus d’un niveau de passerillage faible, moins sucrés et moins complexes, seraient à tort plébiscités.
Nous ne pouvons conclure cette balade alsacienne sans évoquer le Pinot Noir. Depuis le millésime 2022, le cépage a désormais droit de citer pour deux premiers Grands Crus, le Hengst et le Kirchberg de Barr.
A l’origine, le Pinot Noir ne faisait pas partie des cépages nobles autorisés en Grand Cru. Il avait donc été souvent arraché au profit des cépages blancs jugés nobles, puis relégué à des terres plus riches, donc moins favorables pour produire de grands vins. Ceci explique, en partie, que la moyenne qualitative du cépage en Alsace fut longtemps plutôt basse. Ce temps est maintenant révolu et de grands vins rouges sortent désormais des chais alsaciens. Il cherche encore son propre style entre identité alsacienne et modèle bourguignon, mais le plaisir s’invite en bouche.
Notamment avec cette cuvée grand H 2020 (évocation du Hengst, qui ne pouvait pas encore être revendiqué sur l’étiquette) du domaine Albert Mann. L’élevage, l’aromatique et l’ambition de ce vin évoque la Bourgogne. Mais comment ne pas être séduit par cette pureté de fruits rouges, ce beau végétal mur, le charnu qui enrobe le cœur de bouche et cette fine acidité qui réveille le palais. Le vin est séducteur et remarquablement équilibré. Il donne envie de se resservir !
L’Alsace est une belle région. Belle à visiter, agréable à table et chaleureuse dans le cœur des hommes. Ces atouts, doublés de la volonté de bien-faire de nombreux vignerons exigeants, fait que l’on y trouve beaucoup de grands vins. Une invitation à vous laisser charmer.