La coupe du monde des vins

cheval des andes

En attendant la coupe du monde de rugby, voici finie celle du football. Un point d’attache pour organiser quelques ateliers de dégustations, mêlant à chaque fois quatre vins en provenance des meilleures nations du ballon rond. Une occasion aussi de faire un point sur les différences entre les vignobles sud-américains et européens. Allez, balle au centre, le match peut démarrer.

Naturellement le premier réflexe aurait été d’intégrer un vin du Brésil, nation la plus titrée. Malheureusement leurs meilleurs vins sont réservés au marché domestique. La région Rio do Sul, au sud du pays, bénéficiant d'un climat tempéré subtropical représente les ¾ des volumes produits. On y élabore notamment des vins effervescents, issus de la méthode chamat (ou méthode en cuve close) comme pour le Prosecco en Italie. Les brésiliens sont plutôt fan de vins mousseux plutôt sucrés, et le pays, pour se distinguer de la production des pays voisins, Chili, Argentine et Uruguay, s’est fixé pour plan d’action d’être LE spécialiste des vins à bulles « made in South-America ». Mais faute de vin capable de rivaliser dignement, le Brésil sera donc forfait dans notre compétition.

Ce n’est pas le cas pour l’Allemagne qui aligne son meilleur représentant, le Riesling. En France, on connait le cépage à travers l’Alsace. Mais le cépage est d’abord allemand, dont la production est sept fois plus élevée qu’en France. C’est le cépage historique du pays, dont les meilleurs vins sont recherchés par les amateurs du monde entier. Le Riesling, cépage fin et apte au vieillissement, se classe d’ailleurs troisième cépage blanc mondial, derrière le Chardonnay et le Sauvignon (si j’écarte le cépage Airen principalement distillé).

La cuvée monopole issue du cru Nonnenberg de chez Georg Breuer est un excellent représentant de ce que les vignobles en coteaux escarpés de la Rheingau (vignoble classé au patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco) peuvent délivrer. Loin du modèle dit mosellan, aux faibles degrés d’alcool, à la sensation tactile du gaz en bouche et à la sucrosité prononcée, ce riesling « princier » file droit en bouche dans une pureté et une minéralité absolue. Il est sec, complexe et s’allonge en bouche. Il ne « botte clairement en touche » dans cette compétition.

Le candidat argentin s’aligne maintenant sur le terrain. L’Argentine, à la différence de son voisin le Chili, est un pays dont les habitants aiment consommer leurs vins locaux. Le pays s’est fait une spécialité du cépage Malbec, que nous connaissons nous surtout à travers les vins de Cahors. Cahors qui bénéficie indirectement des plans média argentins valorisant le « black wine » (du fait de sa robe très foncée) qui « fait carton plein » notamment aux USA.

L’Argentine dispose, dans les secteurs de Mendoza et en Patagonie, d’un réservoir intéressant de vieilles vignes en altitude, qui permettent au cépage de garder une belle fraîcheur grâce aux températures nocturnes clémentes. C’est sur le secteur de Las Compuertas que le château Cheval Blanc s’est lancé dans l’aventure argentine en 1999, avec la naissance du domaine Cheval des Andes.

Si à Bordeaux, Cheval Blanc s’est distingué par la fraîcheur de son vin, notamment grâce à sa forte proportion de Cabernet Franc dans son assemblage, l’esprit est resté identique en Argentine, avec des vignes de Malbec issues de très vieilles vignes plantées à plus de 1150 m d’altitude. Le Cabernet-Sauvignon complète l’assemblage et le vin est élevé en grande partie en barriques neuves. Mais sur ce 2016 dégusté, le boisé est parfaitement intégré, signe d’une qualité de raisins exemplaire. Les 2 cépages s’harmonisent à merveille, le toucher de bouche est très fin avec des tanins absolument soyeux. Le candidat argentin marque des points aussi !

Voici le tour de la France de s’engager dans la compétition. La fraîcheur reste de rigueur avec cette pure Syrah, issue de terrasses granitiques sur la commune de Mauves, capitale de l’appellation Saint-Joseph à proximité de Valence. La cuvée Olivaie 2019 de l’ami Jérôme Coursodon mérite un passage en carafe car c’est encore un bébé. Après une heure d’aération, le vin s’ouvre et délivre en bouche un savant mélange de fruits rouges et fruits noirs accompagné d’un parfum de violette. Ce vin réalise le tour de force d’être toujours agréable à boire, quel que soit son âge.

Ce n’est pas pour rien si le Guide Hachette avait remis un cep d’argent à Jérôme, lors d’une cérémonie exceptionnelle, pour onze coups de cœur consécutifs, une prouesse amplement méritée.

La compétition est d’un niveau remarquable et le résultat final risque d’être très serré.

L’Italie ne s’étant pas qualifié cette année (quelle désillusion pour les tifosi et pour moi aussi, de devoir me passer d’un vin italien) elle cède la place au concurrent espagnol. Mais quel concurrent ! La première cuvée historique d’Alvaro Palacios, Finca Dofi, est un digne représentant du terroir de Priorat.

Histoire incroyable pour cette appellation sauvée in extremis des primes à l’arrachage, qui aujourd’hui est devenue l’appellation espagnole la plus chère en moyenne.

Alvaro Palacios, « vigneron le plus sensationnel d’Espagne » déclare le gourou Robert Parker, a fait partie de l’aventure Priorat dès le début. Sa cuvée Ermita, à 1000 euros la bouteille, file droit au but des vins les plus côtés au monde. Cet homme magnifie tout ce qu’il touche, à la fois sur le terrain de Ribera del Duero (proche de Burgos) ou plus au nord, sur l’appellation Bierzo, avec le cépage Mencia.

Avec Finca Dofi, à proximité de Tarragone, au sud de la Catalogne, on revient sur des coteaux à nouveau escarpés cultivés à dos d’âne. L’assemblage est ici de type méditerranéen avec le couple Grenache et Carignan. C’est d’ailleurs la qualité des vins de Priorat qui a relancé le cépage Carignan, emblématique pour nous de l’appellation Corbières. Jugé longtemps rustique, ce cépage avait juste besoin d’être travaillé à des rendements maitrisés pour révéler ses nobles caractéristiques, intéressantes en assemblage, avec des notes souvent lardées et de noble végétal..

Si le vin respire le soleil, le terroir et la « patte » du vigneron parlent. L’alcool est largement contrebalancé par une acidité bien présente, l’élevage est parfaitement intégré et le vin évoque l’épice et la cerise bien mûre, mais juteuse. C’est diablement gourmand.

Ces quatre vins ayant été notés par Parker, cela nous donnait un avis extérieur. Selon lui, avec 98 points, l’Espagne remportait ce jour la compétition. Mais dans la réalité, nous savons qui l'emporta au final