Depuis peu, une nouvelle boisson fait son apparition sur les salons professionnels dédiés aux vins, le cidre. On avait déjà vu poindre sur ces salons un nombre croissant de micro-brasseries, et eu à entendre des campagnes-radio de grands brasseurs recourant à un imaginaire très inspiré du vin. A son tour le cidre emprunte un langage qui le rapproche du vocabulaire œnologique.
On convoque le cidre autour de nouveaux accords culinaires.
Le cidre serait surtout le bel accord avec le camembert.
A l’exemple du vin, le cidre se décline aujourd’hui sous un angle « terroir » avec une recherche d’adéquation entre une variété de pomme, un type de sol et un type de climat. Il était donc normal que les meilleurs domaines cidricoles trouvent un écho favorable auprès des cavistes. Il suffit de lire la présentation des cidres d’Eric Bordelet, ancien chef-sommelier de l’Arpège, reconverti avec succès dans la production de cidres et de poirés, pour être frappé de l’analogie avec l’univers du vin. Cet homme a certainement fait beaucoup pour ce nouvel essor du cidre en France. D’autres domaines historiques sont enfin « sous les feux de la rampe » et une nouvelle génération dynamique, entre Pays Basque et Quimperlé, leur emboite le pas. Un juste retour en grâce pour cette boisson !
Car à la lecture d’ouvrages du 19ème siècle sur la parfaite composition d’une cave personnelle, l’approvisionnement de cidres à hauteur du quart du stock était coutumier. Mais tandis que le vin devenait au fil du temps une boisson plus élitiste, le cidre restait cantonné à une boisson désaltérante, produite toujours plus industriellement. Une grande partie des pommes utilisée dans la fabrication des cidres vendus en France provenait même de vergers hors de France. La notion d’appellation d’origine contrôlée échappait au cidre.
Mais alors que doit-on donc boire avec notre « bon vieux camembert » ? Les sommeliers ne cessent de répéter que l’âcreté de sa croûte et sa puissance en bouche tuent toute possibilité d’accord avec le vin, qu’il abîme nos meilleurs crus bordelais, alors imaginez avec la finesse des rouges de Loire. Si bien que par facilité et cousinage régional, on invoque le cidre à la rescousse.
En dépit d’expériences répétées, l’accord ne m’avait jamais vraiment convaincu. Pourtant notre fromage national méritait persévérance et il y a quelques semaines, j’organisais avec quelques confrères
une large dégustation entre cidres et mets variés, afin de se rapprocher de l’accord parfait.
Première révélation, nous testons 14 cidres et pas un seul ne ressemble à l’autre. Pour aller plus loin, aucun ne ressemble même, à ce que l’on trouve dans le commerce habituellement.
Les tarifs de ces cidres n’étaient pas notre priorité ce soir-là et de nombreuses cuvées originales flirtaient avec une quinzaine d’euros, mais pas toujours ! Pour autant dépenser 15 euros dans une bouteille de vin est classique, alors pourquoi ne pas l’imaginer pour un cidre, s’il est superbe et mérite vraiment la découverte !
Avec ses bulles, le cidre nous rapproche immédiatement de l’univers des vins effervescents. Nous « ouvrons donc le bal » avec un Extra-Brut millésimé 2015 de la Maison Hérout, située dans le Cotentin. Cette maison spécialisée dans le vieillissement prolongé, défend avec brio les méthodes traditionnelles, avec levures indigènes, en excluant gazéification, pasteurisation, colorants et adjonction d’eau. Avec un si long vieillissement, la bulle est très fine, la sensation peu sucrée, le nez léger avec une amertume légère. Premier cidre et l’étonnement est déjà au rendez-vous. Autant vous dire, la surprise perdurera tout au long de la dégustation !
Nous enchaînons avec la cuvée n°2 de la même maison, toujours en version Extra-Brut et millésimé 2019. L’amertume de ce cidre est très élevée. Le camembert « passe » mais ce sont surtout les rillettes de poisson et les huîtres qui sont séduites par le cidre.
Qui aurait parié sur un accord cidre et huître ?
La cuvée Prestige du domaine de la Galotière en Pays d’Auge offre une sensation très lissée pour une version très « aristocratique » du cidre (l’aristocratie accessible pour une dizaine d’euros) . L’équilibre est parfait, avec la pointe d’acidité nécessaire. La belle longueur de ce cidre fonctionne parfaitement avec le fromage persillé italien, frotté à la liqueur de noisette du Piémont.
Une nouvelle étape est franchie avec trois cidres affinés en fût de calvados. Surprise, aucun ne se ressemble. L’élevage en fût est suffisamment subtil pour ne pas standardiser ces trois cidres.
La version proposée par la Maison Dupont, toujours en Pays d’Auge, par sa complexité, sa puissance matinée de douceur remporte la majorité des voix. Plus encore nous saluons le « Costaud », nom donné à ce cidre par la Maison Pacory en Pays Domfrontais. Avoir pour moins de 6 euros, un cidre aussi racé, avec un enrobage très « caramel » et une complexité apportée par l’élevage, nous applaudissons…et même des deux mains car ce sera le cidre qui épousera le mieux ce soir-là notre fameux camembert. La race et la longue puissance gustative de ce cidre s’accommodent enfin du fromage !
Nous terminons la soirée avec un cidre aux épices produit par la cidrerie de l’Aubinière, à Janzé, non loin de Rennes. Infusé à froid, la cannelle de Ceylan apporte une douceur épicée et l’anis étoilée un gain de fraîcheur. Sur le papier, c’est un demi-sec ! C’est pourtant un cidre qui « claque bien en bouche » et fonctionne à merveille sur notre sélection de fromages bien affinés.
En conclusion, le cidre mérite sans aucun doute notre intérêt, pour sa place à table notamment. Lors de cette soirée, nous avions retenu des cidres de maisons réputées pour leur sérieux et portant haut les couleurs du cidre. Ces maisons travaillent très « proprement », sans artifice dans leur production, sélectionnent et assemblent souvent des variétés de pommes « locales » (ce n’est pas un hasard) pour parfaire l’équilibre et donner une réelle identité au cidre. Cette première expérience nous incite vivement à varier les plaisirs gustatifs en donnant sa chance au cidre à table plus souvent.
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NB : Nous nous sommes en partie inspiré pour la sélection des cidres, de l’excellent dossier paru dans la Revue du Vin de France à l’été 2021. Que cette revue dédiée au vin, s’intéresse au cidre souligne une fois de plus l’intérêt grandissant pour cette boisson.
crédit image : Qui veut du fromage