
Il est souvent fait mention dans les commentaires portés sur un vin, de son équilibre. Une sorte de balance idéale entre différentes sensations perçues en bouche, qui distinguerait un grand vin d’une « piquette ». Quels sont les composantes de cet équilibre ? Et en quoi est-il important de s’attarder sur cette notion ?
La notion d’équilibre pour un vin, renvoie aux quatre saveurs de base.
Le sucré, ressenti sur le bout de la langue, la quantité de sucres résiduels (sucre du raisin non transformé en alcool) et la sensation d’alcool, brulant ou non notre palais.
L’acidité, détectable sur le milieu de la langue, sur les côtés, qui « titille » vos muqueuses, comme après la dégustation d’un jus de citron pur.
L’amertume liée à certains cépages (noblement recherchée dans les chenins de la Loire ou dans les roussannes en Vallée du Rhône et Savoie), surtout induite par la qualité et la quantité de tanins.
Enfin la salinité qui provient du sol et du sous-sol sur lequel le raisin aura poussé, ressenti classique de l’expression minérale d’un vin.
En théorie, pour qu’un vin soit parfaitement équilibré, il convient que ces composantes se « fondent » en harmonie.
Pour autant cet équilibre sera appelé à varier selon le profil du terroir. Il s’agit là encore d’un rapport idéal entre un cépage, une nature de sol et de climat. Par exemple, sur un plateau d’huîtres, votre réflexe spontané sera plutôt d’ouvrir une bouteille de Muscadet, plutôt qu’une bouteille de Meursault. Cet acte naturel est lié au fait que vous attendez de votre Muscadet un équilibre où l’acidité et la minéralité seront plus marquées et s’accommoderont plus volontiers de l’iode affleurant dans l’huître.
En revanche, spontanément, vous penserez à votre Meursault pour accompagner votre homard rôti.
Il convient néanmoins qu’une des composantes « n’écrase » pas les autres.
Reprenons l’exemple de notre Muscadet et de notre Meursault. Il n’est pas souhaitable que l’acidité de notre Muscadet soit « brut de décoffrage ». De même un Meursault offrant sa belle rondeur en bouche, devra contenir un certain niveau d’acidité pour équilibrer l’aspect « beurré » de notre Chardonnay.
Le couple acidité/alcool est intéressant à observer. Combien de fois des participants d’un atelier de dégustation ont été surpris du degré d’alcool d’un vin. Si ce degré est à observer, il est tout aussi important que le vigneron conserve un haut niveau d’acidité dans ses raisins. Je m’explique : dans des années solaires les plus grands vins de Bordeaux se distinguent même à 14.5 °C, grâce à une fraicheur intense conservée, laissant la sensation d’un 13.5. A l’opposé, un mauvais terroir, une vinification mal maîtrisée, etc,… avec un vin à 14.5 °C, donnera l’impression d’un 15.
Idem pour les moelleux ou liquoreux. Ces vins sont par définition sucrés (haut niveau de sucres résiduels) donc pour équilibrer cette « charge », le contenant acidité/minéralité devient fondamental. Ainsi les meilleurs Sauternes ou Côteaux du Layon se distinguent par une finale laissant une sensation « d’acidulé », d’extraits secs, laissant votre bouche « propre » plutôt qu’envahie par un sucre pesant. Certains « petits » liquoreux n’ont que 80 grammes de sucre résiduels, sont moins riches mais offrent une finale « archi-sucrée » quand une « Crème de Tête » du Château Gilette à Bordeaux ou une sélection de Grains Nobles du domaine Delesvaux en Anjou, avec pourtant une sucrosité bien plus importante en « attaque de bouche », vous laisse une bouche « sèche ». Magique !
L’acidité parfois marquée sur certains vins dégustés, sans plat en face, deviendra un atout en accord mets-vin.
Nous le voyons dans le cas des accords vins-fromages, où l’acidité des vins blancs équilibre le gras du fromage.
Cet accord de contraste fonctionnera aussi avec un poisson au beurre blanc.
Quand l’équilibre d’un vin blanc ou rosé s’opère principalement autour du couple alcool/fraîcheur
(la fraîcheur d’un vin se compose de l’acidité + minéralité + gaz carbonique notamment pour les vins effervescents),
il convient d’ajouter l’expression tannique pour les vins rouges.
Les tanins en bouche se mesurent à la fois par leur quantité et leur qualité. Une fois de plus, tous les cépages ne sont pas égaux par leur capacité à délivrer une structure tannique intense. Le cabernet-sauvignon et le malbec sont, par exemple, naturellement riches en tanins. C’est moins le cas du cabernet-franc qui par son « ADN » offre plutôt un profil dit de « demi-corps ». Cela ne signifie en aucun cas qu’un cépage est supérieur à l’autre !
Il est tout aussi fondamental que les tanins s’expriment en finesse ! Pour user d’un vocabulaire propre au tissu, il sera bien plus valorisant de ressentir des tanins soyeux, veloutés, plutôt que râpeux. Si après dégustation, vous avez envie de « filer » dans la salle de bain vous brosser les dents pour vous débarrasser d’une sensation tannique agressant vos gencives ou, si vous avez l’impression qu’un « sèche-cheveux » a soudainement asséché votre bouche, alors c’est que votre vin est déséquilibré. Les raisons de cette agression sont multiples, cela peut être dû à des raisins récoltés en sous-maturité, une vinification où on a cherché à trop extraire de tanins, où encore un élevage en barrique trop appuyé par rapport au potentiel offert par les raisins sur un millésime donné.
L’équilibre est aussi le marqueur du potentiel d’évolution d’un vin. Si l’harmonie n’est pas présente, il est à parier que le vin évoluera trop rapidement (si tant est que l’on ait déjà échappé dès le départ au déséquilibre). Un vin rouge sans structure tannique semblera « plat ou mou ». Un vin sans acidité ne dépassera pas, la plupart du temps, la barre des quatre ans et manquera de relief, d’éclat pour souligner l’aromatique.
La balance est donc nécessaire, et s’il y a concentration d’une des composantes, alors l’ensemble doit être concentré. C’est souvent le cas pour les plus grands vins de Bordeaux, et c’est bien en cela que leur potentiel de garde est souvent largement supérieur à la moyenne.
Vous l’aurez constaté, tous les vins sont différents. Certains peuvent avoir des dominantes, ce qui permet notamment des mariages culinaires judicieux. L’équilibre d’un vin se juge aussi dans son contexte de terroir d’origine. Il ne s’agit surtout pas de créer des « clones » et de demander à un Saint-Nicolas de Bourgueil de ressembler à un Pauillac, ou alors la dégustation deviendrait triste. Il convient aussi d’accepter la liberté d’expression du vigneron de produire des cuvées hors-cadre. Car au final, l’intérêt majeur du vin est d’offrir une place à chaque expression et que chacune des composantes de l’équilibre s’expriment surtout en finesse.